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vendredi 26 août 2011

Valérian et Laureline

L’histoire de Valérian et Laureline commence le 9 novembre 1967 dans le numéro 420 de la revue Pilote. Celle qui lie les deux auteurs, Jean-Claude Mézière et Pierre Christin, remonte aux années 1943-1944 au milieu des alertes aériennes qui frappent leur ville de Saint-Mandé, dans le Val de Marne. Vingt ans plus tard, les deux amis se retrouvent aux États-Unis, à Salt Lake City. Christin y a décroché un poste de professeur de littérature française à l’université et Mézière, sans le sou après un long périple à travers le pays, est sur le point de voir son visa expiré. C’est en 1965, dans la ville des mormons, qu’ils débutent leur carrière dans la BD avec Le rhum du Punch, une histoire se déroulant pendant la guerre d’indépendance américaine. Ce n’est que deux ans plus tard que sera publié le début de Valérian et Laureline, une série aujourd’hui devenue un grand classique de la SF à la française.

Très marqués par leur période américaine, les deux compères ont constaté à quel point ce pays en mouvement perpétuel était un champ de tous les possibles : des civils Rights au féminisme, de l’underground aux beatniks en passant par la naissance du rockn’roll, ils sont fascinés par la contre-culture US. Christin a aussi découvert la science fiction, un genre quasi inexistant en France à l’époque mais déjà bien implanté au pays de l’oncle Sam. Des auteurs comme Van Vogt, Asimov, Anderson ou Jack Vance auront une forte influence sur son travail de scénariste. Pour Christin, la SF se divise en deux grands courants : celui des pessimistes pour lesquels les dangers du nucléaire et la peur du grand cataclysme vont entraîner la destruction totale de notre civilisation et celui des utopistes qui considèrent qu’il faut croire au futur malgré les événements tragiques et que l’homme, de toute façon, survivra toujours. Avec Valérian, il veut se positionner entre ces deux courants.

En faisant du héros de sa série un voyageur temporel, Christin ne fait pas preuve d’une grande originalité. Une quinzaine de siècles séparent Valérian le visiteur venu de l’espace et Laureline, jeune paysanne du Moyen-âge. Après leur rencontre, ils deviennent une sorte de « patrouille du temps ». Au fil de leurs aventures, ils abordent des planètes mystérieuses où règnent guerre, rapport de force ou oppression et finissent toujours par faire y triompher la justice. En tout, Christin et Mézière ont créé plus de 80 planètes et une centaine de races extraterrestres.

La richesse de l’univers de Valérian et Laureline est telle qu’elle a eu une influence majeure sur le cinéma. En 1977, lorsque sort La guerre des étoiles, Mézière a l’impression de découvrir une adaptation de sa BD sur grand écran. Jamais pourtant le studio LucasArts ne reconnaîtra un quelconque lien de parenté. Mézière, magnanime et philosophe, sait que tout créateur se nourrit d’influences. Après tout, le fait que les designers de Star Wars aient « pillé » son œuvre constitue le plus beau des hommages. Et puis justice lui sera rendue en 1997 avec la sortie du Cinquième élément de Luc Besson auquel il a profondément collaboré (les taxis volants du film, c’est lui !).

La filiation Star Wars / Valérian est plus qu'évidente !
(extrait du 1er volume de l'intégrale parue chez Dargaud en 2007)



Avec Valérian et Laureline, Christin et Mézière font figure de pionniers de la SF en bande dessinée. Leur série n’a cessé d’évoquer les grands changements du monde contemporain à travers le prisme d’un imaginaire foisonnant. Ecologie, féminisme, totalitarisme, anti-militarisme, ils ont pu partager leurs convictions avec leurs lecteurs sans jamais tomber dans le prosélytisme. Avec plus de 2 500 000 exemplaires vendus cette série est forcément devenue un classique. D’ailleurs, depuis 1967, les prénoms des deux héros, totalement inventés par les auteurs, ont été donnés plus de 4000 fois ! C’est dire si toute une génération a été marquée par les aventures de ces deux agents spatio-temporels.

Plus grandes forces de cette série :


  • La richesse infinie de l’univers présenté. Grâce à la téléportation, les deux héros visitent l’infinité du cosmos et rencontrent un foisonnement inépuisable de formes vivantes. En présentant la faune, la flore, la civilisation et les problèmes spécifiques de chaque étoile, les auteurs donnent une incroyable épaisseur à chacun de leur récit.
  •  Le fait que chaque album propose une histoire radicalement différente de la précédente : impossible de s’ennuyer et d’avoir une impression de déjà-vu tellement les thématiques, les environnements et les personnages secondaires changent d’un album à l’autre.
  • Laureline bien sûr ! Depuis Barbarella, on n’avait pas vu un personnage féminin aussi magnétique en bande dessinée. Traitée comme l’égale du héros masculin, cette femme mutine, gironde, alliant la grâce et l’esprit, est un modèle de non-conformité. Et puis ses tenues parfois très affriolantes auront affolé les sens de plus d’un lecteur. C’est aussi sans doute le seul personnage de la BD franco belge pouvant se vanter d’être apparue quasiment nue dans un numéro de Playboy en 1987.

Ce qui m’a le plus agacé :

  • Le fait que la série soit terminée. Bien sûr, on ne peut que féliciter les auteurs d’y avoir mis un terme avant de faire l’album de trop (il y en a tellement d’autres qui devraient en faire autant !), mais quand même, difficile d’imaginer que l’on ne découvrira plus jamais une nouvelle planète avec Valérian et Laureline.
  • Les couleurs psychédéliques trop agressives des premiers albums. La coloriste Évelyne Tranlé, sœur de Mézière, est une pointure en la matière qui a notamment œuvrée sur des séries telles que Blueberry ou Philémon mais pour Valérian, je trouve la colorisation franchement indigeste. 
  • Le virage pris par la série avec le 11ème album, Les spectres d’Inverlochs. A partir de ce titre, les auteurs tentent de justifier les paradoxes spatio-temporels qui frappent leurs héros et se prennent un peu les pieds dans le tapis. Rien de bien grave mais l’on a parfois l’impression de naviguer à vue. Heureusement, le tout dernier album (le 21ème) apporte une réponse définitive aux questionnements métaphysiques qui ont embrumé l’esprit de plus d’un lecteur.




Carte d’identité de la série :

Auteurs : Jean-Claude Mézière et Pierre Christin
Date de création : 1967
Nombre d'albums : 21 (série terminée)
Éditeur : Dargaud

vendredi 29 juillet 2011

Jerry Spring

Le premier cowboy du journal de Spirou se nommait Red Ryder. Un héros aux cheveux roux accompagné de son ami indien Petit Castor qui aura vécu des aventures tumultueuses dans les pages du magazine de 1939 à 1952. Cette BD créée en 1938 aux États-Unis par Fred Harman faisait partie des quelques séries américaines (Superman, Dick Tracy, Luc Bradefer…) qui ont longtemps partagé le sommaire de Spirou avec les créations locales. En 1952, constatant que la qualité de Red Ryder est devenue très faiblarde, l’éditeur Paul Dupuis arrête sa publication et demande à Jijé (Joseph Gillain) de lui réaliser un western « made in Belgique ». Une proposition qui ne pouvait pas mieux tomber puisque depuis son voyage de plusieurs mois effectué au Mexique et aux États-Unis avec ses amis Morris et Franquin en 1948, le dessinateur rêve de mettre en scène les grands espaces sauvages et légendaires du Far West.

Jerry Spring apparaît pour la première fois dans le n° 829 du 4 mars 1954. C’est Spirou et Fantasio eux-mêmes qui l’annoncent sur la couverture du journal : « Sensationnel ! Jijé commence aujourd’hui la publication d’une série cow-boy du tonnerre ! Voyez vite Jerry Spring. » La série met en scène le cow-boy Jerry et son inséparable compagnon mexicain Pancho ainsi que leurs montures respectives, Ruby et Chiquito. Au menu, du grand classique : Shérifs, bandits, notables véreux, attaques de peaux rouges, mine d’or abandonnée… Au fil des épisodes, Jerry le bon samaritain va affronter le Ku Klux kan, défendre les nations indiennes ou encore prendre parti pour la liberté des esclaves noirs. Un héros humaniste, redresseur de tort au cœur pur qui n’aura de cesse d’apporter son aide aux opprimés.

Pour ce qui est des scénarios, Jijé part souvent à l’aveuglette : il a bien une trame narrative générale, mais il se laisse souvent porter par ses impulsions et modifie sans cesse le cours de son récit, parfois en improvisant totalement. Les quelques scénaristes ayant collaboré avec lui sur cette série ont vite déchanté. Maurice Rosy par exemple : « J’ai reconnu mon scénario jusqu’à la huitième planche. J’avais fait un découpage mais Jijé est parti ailleurs. Puis il m’a téléphoné pour me dire qu’il avait changé telle et telle chose. […] J’ai fini par laisser tomber ». Même Goscinny, sollicité par le dessinateur pour scénarisé l’épisode intitulé L’or du Vieux Lender, ne reconnaîtra pas son histoire une fois l’album terminé tellement Jijé aura pris de libertés pour le modifier comme bon lui semblait. Finalement, Jijé travaille un peu à la manière des feuilletonistes du 19ème siècle. Face aux délais de bouclage du journal revenant chaque semaine, il brode son histoire comme bon lui semble au gré des impulsions qui le traversent au moment où il réalise ses planches.

Graphiquement par contre, rien n’est laissé au hasard. Avec Jerry Spring Jijé est proche du génie. Fortement influencé par l’auteur américain Milton Caniff, il se lance dans des découpages audacieux, jouant notamment de l’opposition entre d’abondantes masses d’encre noire et la blancheur éclatante du papier pour créer un langage graphique d’une grande qualité. Il alterne également les très gros plans de visages avec des cases représentant les silhouettes en ombres chinoises. Cette succession de plans larges et de plans rapprochés allie efficacité et dynamisme. Et que dire de la beauté des décors qui transporte littéralement le lecteur au cœur des grands espaces de l’Ouest américain…

Avec Jerry Spring, Jijé offre un western réaliste et percutant à l’exceptionnelle force d’évocation. Cette série incontournable aura suscité un nombre incroyable de vocations et marqué au fer rouge une génération de dessinateurs. Jean-Claude Mézières (Valérian) : « J’avais quinze ans et je suis tombé en extase devant les deux premières planches de Jerry Spring ». Jean Giraud (Blueberry) : « Quand sont arrivés Yucca Ranch et Trafic d’armes (les 2ème et 4ème tomes de la série), alors là, je me suis retrouvé aplati contre le mur, scotché, je ne pouvais plus respirer ». Derib (Buddy Longway) : « Quand j’ai découvert Jerry Spring, je n’ai pas analysé, c’était hyper instinctif, un choc ! ».

Plus grandes forces de cette série :

  • Le dessin, forcément. Une vraie claque avec ce noir et blanc qui vous hypnotise !
  • Les décors : les intrigues se déroulant de part et d’autre de la frontière entre le Mexique et les USA, elles offrent des paysages certes réalistes mais qui invitent également le lecteur à la contemplation tellement ils sont magnifiques. Un must !
  • La variété des thèmes abordés. Bien sûr, il n’y a rien de neuf sous le soleil : des bandits, des trafiquants d’armes, des chercheurs d’or, des indiens… mais Jijé est parvenu à se renouveler à chaque nouvel album, ce qui n’était as forcément évident au départ.
  • La réédition actuelle de la série en intégrale par les éditions Dupuis. Un travail remarquable avec un riche appareil critique et la publication des planches dans leur noir et blanc d’origine. Indispensable !

Ce qui m’a le plus agacé :

  • Les premiers albums où l’on perçoit qu’au niveau du scénario, Jijé navigue parfois à vue. Un manque de cohérence et d’épaisseur criant avec des retournements de situation qui tombent comme un cheveu sur la soupe.
  • Le coté humaniste du héros qui est en fait très « politiquement correct ». Depuis la loi de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, les éditeurs de BD vivaient avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Au moindre petit écart, la censure frappait, impitoyable. D’où une demande faite aux auteurs d’aseptiser au maximum leur production pour éviter d’indisposer les membres de la commission de surveillance. Au final, pour Jerry Spring, on qualifie les valeurs du héros d’humanistes pour faire plus noble. Pour moi, c’est avant tout un coté boy scout avec un héros trop lisse qui aurait mérité d’être un plus « torturé ». Mais pour l’époque, c’était tout bonnement impensable !
  • Les albums en couleur : une hérésie ! Jijé a toujours affirmé qu’il préférait le noir et blanc mais les impératifs commerciaux en ont décidé autrement (le grand public préfère la couleur, soit disant). Résultat Jijé, qui ne s’est jamais intéressé à la couleur, laisse l’éditeur s’en charger et le résultat est affligeant tant il dénature le travail initial de l’auteur. Heureusement que la réédition actuelle de la série en noir et blanc redonne à Jerry Spring ses lettres de noblesse !



Carte d’identité de la série :

Auteurs : Jijé
Date de création : 1954
Nombre d'albums : 21 (série terminée)
Éditeur : Dupuis