mercredi 22 octobre 2014

Love in vain : Robert Johnson, 1911-1938 - Mezzo et J.M Dupont

« You may bury my body, down by the highway side
So my old evil spirit, can catch a Greyhound bus and ride

« Je voudrais qu’on m’enterre au bord d’une route sur le bas-côté 
pour que le démon qui est en moi puisse prendre un bus et filer »

Robert Johnson est une légende de la musique noire américaine. Le plus grand bluesman de tous les temps, un mythe vénéré par Hendrix, Clapton, Led Zeppelin, les Rolling Stones et tant d’autres. Un musicien raté qui aurait vendu son âme au diable pour jouer comme un Dieu. Ceux qui l’ont vu à l’œuvre affirmaient que ses mains couraient sur le manche de son instrument comme des araignées. Sur scène, il se tenait dos au public pour que personne ne puisse voir sa technique. Son image sulfureuse, il l’a entretenue soigneusement. Oui, un soir d’errance, sur une route du Mississippi, à un carrefour, le prince des ténèbres lui est apparu. Il lui a pris sa guitare et l'a accordée, scellant le pacte. Johnson a alors connu la gloire dans les Juke Joints, « ces églises de la nuit qui sentaient bon le soufre ». Il a pu enregistrer vingt-neuf chansons entre 1936 et 1937. Tout ce qu’il reste aujourd’hui de celui que les apôtres de la vertu appelaient « le fils de Satan », mort empoisonné par un mari jaloux au cours de l’été 1938. Il avait 27 ans.   

Dupont et Mezzo (« Le roi des mouches ») remontent la vie de Johnson à contre courant des versions folkloriques pour ancrer son parcours dans la réalité. La référence au diable est présente mais elle s’affiche surtout comme un élément « commercial » que bien d’autres avant lui avaient d’ailleurs déjà utilisé. L’histoire de ce gamin n’a rien d’originale.  Enfance difficile. Marié très tôt, sa femme adorée et son enfant meurent en couches. Il n’a que 19 ans. Il entame alors une longue errance sur les routes et les rails du sud profond, sa guitare en bandoulière. Des débuts catastrophiques où les autres musiciens se moquent de son manque de talent. Il disparait plusieurs mois. A son retour, son jeu s’est transfiguré, sa technique éblouit l’assistance. Ainsi débute la légende. Sa transformation est due selon lui à sa rencontre avec le Malin, sa réputation est en marche. Il en jouera jusqu’au bout, au moins autant que de son charme incroyable. Chaque nuit, il se noie dans l’alcool et les aventures d’un soir. Les femmes sont folles de sa beauté troublante, de son charisme, de son visage imberbe, de son regard aux lueurs ensorcelantes. Son ascension sera aussi fulgurante que sa chute. L’enfer l’attendait de toute façon, il lui fallait bien payer sa dette, le moment venu. Et le lecteur de tourner la dernière page en se disant que, finalement, sa seule malédiction était sans doute son inégalable talent.

Je kiffe, que dis-je, je surkiffe Robert Johnson depuis que j’ai découvert son histoire en visitant le Texas au début des années 90. J’ai entendu ses chansons des centaines de fois et le charme opère toujours. Ce gars est l’incarnation absolue du blues. « Love in vain » est le plus bel hommage que l’on pouvait lui rendre. Graphiquement, c’est juste fabuleux. Le noir et blanc de Mezzo est sensuel, presque organique. Ses aplats sont d’une profondeur et d’une densité rarement vues. Le format à l’italienne, les nombreuses illustrations pleine page et la voix off achèvent de plonger le lecteur au cœur de cette vie brûlée par les deux bouts. Cerise sur le gâteau, on trouve en fin d’ouvrage les textes des chansons de Robert Johnson, en VO et en français, dont le célébrissime « Sweet Home Chicago ». Un album incontournable, indispensable à tout amateur de Blues qui se respecte. Une bien jolie pépite, à offrir ou à s’offrir (moi, c’est déjà fait !).


Love in vain : Robert Johnson, 1911-1938 de Mezzo et J.M Dupont. Glénat, 2014. 72 pages. 19,50 euros.








34 commentaires:

  1. L'album semble trèèès sympathique !! Déjà qu'il me tentait ^^ Je crois que je ne vais pas hésiter longtemps :)

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  2. Les dessins sont magnifiques mais l'histoire ne me tente pas.
    Parler du diable, bouh...

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    1. ça ne parle pas vraiment du diable, c'est le diable qui parle (enfin je me comprends ;) )

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  3. Une très belle idée de cadeau, effectivement !

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  4. Outch. Encore un titre auquel il me sera impossible de résister.

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  5. Ce n'est pas possible comment fais-tu pour dénicher ce qui semble être une perle pareil ? Rien que les dessins me font les yeux doux alors je ne te raconte même pas l'histoire qui a tout pour me plaire. Un nouveau raid s'impose !

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    1. Celui-là, je peux te dire que je l'avais repéré depuis trèèès longtemps !

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  6. Mince alors, en voilà une sacrée histoire ! Tu rends un bien bel hommage à ce grand monsieur avec ton beau billet mine de rien...

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    1. C'est gentil ça ;)
      Mais je ne pourrais jamais lui rendre ce qu'il m'a apporté, ce grand monsieur.

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  7. Je veux bien découvrir ce Robert Johnson... j'appuie sur play !

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  8. J'adore ce type de musique, les Etats-Unis... je veux le lire :D

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  9. On dirait que tu as encore déniché une petite pépite ;0) Tout d'abord j'adore la musique et l'histoire est très attirante... Le dessin me convainc moins (c'est très sombre)...

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  10. Bon, je m'en vais déjà découvrir sa musique. On se sent pas inculte en te lisant dis donc.;-)

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    1. Pas question d'être inculte ou pas, le hasard fait juste que ce monsieur me passionne depuis près de 25 ans.

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  11. Cette BD est somptueuse...
    Ne manque plus que je la lise pour la trouver extraordinaire !

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    1. C'est vrai, elle est somptueuse. Et tu risques bien de l'adorer !

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  12. j'ai adoré, adoré et encore adoré!!!! On en veut encore!!!

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    1. Tu veux encore l'écouter ? Rien de plus simple, sur You***, tu trouveras toutes ses chansons.

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  13. Je suis comme toi : fasciné par RJ ! J'ai écouté ses chansons, lu tous les albums tirés de son histoire et compte bien me faire celui-là aussi ! Surtout que le graphisme est fantastique en plus ! Sinon, tu as vu qu'il y a un autre album plus humoristique qui évoque cette légende qui vient de sortir ? (mince son titre m'échappe...)

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    1. Non, je n'ai pas vu cet album humoristique. J'avais essayé le manga sans être convaincu. Par contre j'avais adoré "Indian Blues" de Sherman Alexie, un roman qui a pour point de départ l'arrivée de la guitare maudite de RJ dans une réserve indienne.

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  14. Lu et chroniqué aussi avec le même enthousiasme. Je suis un vieux fan de blues.

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    1. Pareil ! Et si je puis me permettre, en tant que vieux fan de blues, si ce n'est pas encore fait, il faut absolument lire "Mister Nostalgia" de Robert Crumb !

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  15. Je viens de découvrir cet album et je l'ai adoré ! Il vraiment magnifique. Je l'ai offert à mon père, fan de jazz et de blues. Si tu as d'autres bd ou livres pour fan de blues, je suis preneuse. J'ai déjà noté Mister Nostalgia. ;)

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    1. Météo Slim est un autre excellent album sur le sujet.

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